< Page:Vallès - Le Bachelier.djvu
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

J’ajoutais dans ma lettre — timidement — que, dans cette vie où l’on habite des masures vieilles et misérables, on perd à chaque instant le peu qu’on a, dans les expropriations, les descentes, les râfles… que j’avais déjà égaré des œuvres…

C’était vrai ! En ai-je laissé dans les garnis, jetées aux ordures, cachées derrière une malle, gardées par le logeur, des pages qui avaient peut-être leur amère éloquence !

Mon père ne m’a pas répondu.

Oh ! j’ai senti malgré moi remonter contre lui le flot de mes colères d’enfant !

························

« Mais ne savez-vous pas, m’a dit un de ses anciens collègues de Nantes — que j’ai heurté tout d’un coup au coin d’une rue : brave homme qui était notre ami, à qui j’ai avoué ma vie, tant le soir était triste, tant la pluie était noire, tant ma chambre de ce temps-là était froide ! — Ne savez-vous pas que votre père n’est plus à Nantes ? »

Il m’a conté une douloureuse histoire.

Mon père a retrouvé sur son chemin une madame Brignolin, une veuve de censeur, qui l’a aimé ou a fait semblant de l’aimer. Il est devenu son amant, s’est compromis, affiché : ma mère, folle de jalousie et de chagrin, perdant la tête, a fait une scène à la maîtresse devant le collège ; il y a eu un scandale affreux, un rapport terrible au ministère. On s’est contenté d’un déplacement, mais mon père est dans une ville du Nord maintenant.

    Cet article est issu de Wikisource. Le texte est sous licence Creative Commons - Attribution - Partage dans les Mêmes. Des conditions supplémentaires peuvent s'appliquer aux fichiers multimédias.