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N’allez donc pas, avec simplicité,
Nommer vertu ce qui fut pauvreté.
  « Oh que Colbert était un esprit sage !
Certain butor conseillait, par ménage,
Qu’on abolît ces travaux précieux,
Des Lyonnais, ouvrage industrieux.
Du conseiller l’absurde prud’homie
Eût tout perdu par pure économie :
Mais le ministre, utile avec éclat,
Sut par le luxe enrichir notre État.
De tous nos arts il agrandit la source ;
Et du midi, du levant, et de l’Ourse,
Nos fiers voisins, de nos progrès jaloux,
Payaient l’esprit qu’ils admiraient en nous.
Je veux ici vous parler d’un autre homme,
Tel que n’en vit Paris, Pékin, ni Rome :
C’est Salomon, ce sage fortuné,
Roi philosophe ; et Platon couronné,
Qui connut tout, du cèdre jusqu’à l’herbe[1] :
Vit-on jamais un luxe plus superbe ?
Il faisait naître au gré de ses désirs
L’argent et l’or, mais surtout les plaisirs.
Mille beautés servaient à son usage.
 Mille ?  On le dit ; c’est beaucoup pour un sage.
Qu’on m’en donne une, et c’est assez pour moi,
Qui n’ai l’honneur d’être sage ni roi. »
Parlant ainsi, je vis que les convives
Aimaient assez mes peintures naïves ;
Mon doux béat très peu me répondait,
Riait beaucoup, et beaucoup plus buvait ;
Et tout chacun présent à cette fête
Fit son profit de mon discours honnête.

  1. C’est ce qui est dit dans la bible, troisième livre des Rois, chapitre IV, verset 33.
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