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sa nudité ; comment dans ces temps-là aurait-on rougi de nommer les génitoires, puisqu’on touchait les génitoires de ceux à qui l’on faisait quelque promesse ? c’était une marque de respect, un symbole de fidélité, comme autrefois parmi nous les seigneurs châtelains mettaient leurs mains entre celles de leurs seigneurs paramonts[1].

Nous avons traduit les génitoires par cuisse. Éliézer met la main sous la cuisse d’Abraham ; Joseph met la main sous la cuisse de Jacob. Cette coutume était fort ancienne en Égypte. Les Égyptiens étaient si éloignés d’attacher de la turpitude à ce que nous n’osons ni découvrir ni nommer, qu’ils portaient en procession une grande figure du membre viril nommé phallum[2], pour remercier les dieux de faire servir ce membre à la propagation du genre humain.

Tout cela prouve assez que nos bienséances ne sont pas les bienséances des autres peuples. Dans quel temps y a-t-il eu chez les Romains plus de politesse que du temps du siècle d’Auguste ? cependant Horace ne fait nulle difficulté de dire dans une pièce morale :

Nec vereor ne, dum futuo, vir rure recurrat.

(Liv. I, sat. II, vers 127.)

[3] Auguste se sert de la même expression dans une épigramme contre Fulvie.

Un homme qui prononcerait parmi nous le mot qui répond à futuo serait regardé comme un crocheteur ivre ; ce mot, et plusieurs autres dont se servent Horace et d’autres auteurs, nous paraît encore plus indécent que les expressions d’Ézéchiel. Défaisons-nous de tous nos préjugés quand nous lisons d’anciens auteurs, ou que nous voyageons chez des nations éloignées. La nature est la même partout, et les usages partout différents[4].

Je rencontrai un jour dans Amsterdam un rabbin tout plein de ce chapitre. « Ah ! mon ami, dit-il, que nous vous avons obligation ! vous avez fait connaître toute la sublimité de la loi mo-

  1. Suzerains. (K.)
  2. M. J.-A. Dulaure a publié : Des Divinités génératrices, ou du culte de Phallus ches les anciens et les modernes, 1805, in-8° ; réimprimé, vingt ans après, dans le tome second de l’Histoire abrégée de différents cultes, Paris, Guillaume, 1825, 2 vol. in-8°.
  3. Cette phrase n’est pas de 1764 ; elle est de 1765. L’épigramme d’Auguste est à l’article Auguste-Octave, tome XVII, page 484.
  4. Fin de l’article en 1764 et 1765. Ce qui suit fut ajouté en 1767. (B.)
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