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Cher ami, je verrais un cœur comme le mien
Réduit à redouter un esclave chrétien !
Mais, parle ; tu pouvais observer son visage,
Tu pouvais de ses yeux entendre le langage ;
Ne me déguise rien, mes feux sont-ils trahis ?
Apprends-moi mon malheur… Tu trembles… tu frémis…
C’en est assez.


Corasmin.

Je crains d’irriter vos alarmes.
Il est vrai que ses yeux ont versé quelques larmes ;
Mais, seigneur, après tout, je n’ai rien observé
Qui doive…


Orosmane.

À cet affront je serais réservé !
Non, si Zaïre, ami, m’avait fait cette offense,
Elle eût avec plus d’art trompé ma confiance.
Le déplaisir secret de son cœur agité,
Si ce cœur est perfide, aurait-il éclaté ?
Écoute, garde-toi de soupçonner Zaïre.
Mais, dis-tu, ce Français gémit, pleure, soupire :
Que m’importe après tout le sujet de ses pleurs ?
Qui sait si l’amour même entre dans ses douleurs ?
Et qu’ai-je à redouter d’un esclave infidèle,
Qui demain pour jamais se va séparer d’elle ?


Corasmin.

N’avez-vous pas, seigneur, permis, malgré nos lois,
Qu’il jouît de sa vue une seconde fois ?
Qu’il revînt en ces lieux ?


Orosmane.

Qu’il revînt, lui, ce traître ?
Qu’aux yeux de ma maîtresse il osât reparaître ?
Oui, je le lui rendrais, mais mourant, mais puni,
Mais versant à ses yeux le sang qui m’a trahi ;
Déchiré devant elle ; et ma main dégouttante
Confondrait dans son sang le sang de son amante…
Excuse les transports de ce cœur offensé ;
Il est né violent, il aime, il est blessé.
Je connais mes fureurs, et je crains ma faiblesse ;
À des troubles honteux je sens que je m’abaisse.
Non, c’est trop sur Zaïre arrêter un soupçon ;
Non, son cœur n’est point fait pour une trahison.
Mais ne crois pas non plus que le mien s’avilisse

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