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L’énergumène.

Allons, je veux bien m’apaiser un moment en attendant les fagots. Réponds-moi : Qu’est-ce que l’esprit ?

Le philosophe.

Je n’en sais rien.

L’énergumène.

Qu’est-ce que la matière ?

Le philosophe.

Je n’en sais pas grand’chose. Je la crois étendue, solide, résistante, gravitante, divisible, mobile ; Dieu peut lui avoir donné mille autres qualités que j’ignore.

L’énergumène.

Mille autres qualités, traître ! Je vois où tu veux venir : tu vas me dire que Dieu peut animer la matière, qu’il a donné l’instinct aux animaux, qu’il est le maître de tout.

Le philosophe.

Mais il se pourrait bien faire qu’en effet il eût accordé à cette matière bien des propriétés que vous ne sauriez comprendre.

L’énergumène.

Que je ne saurais comprendre, scélérat !

Le philosophe.

Oui, sa puissance va plus loin que votre entendement.

L’énergumène.

Sa puissance ! sa puissance ! vrai discours d’athée.

Le philosophe.

J’ai pourtant pour moi le témoignage de plusieurs saints Pères.

L’énergumène.

Va, va, ni Dieu, ni eux, ne nous empêcheront de te faire brûler vif ; c’est un supplice dont on punit les parricides et les philosophes qui ne sont pas de notre avis.

Le philosophe.

Est-ce le diable, ou toi, qui a inventé cette manière d’argumenter ?

L’énergumène.

Vilain possédé, tu oses me mettre de niveau avec le diable !

(Ici l’énergumène donne un grand soufflet au philosophe, qui le lui rend avec usure.)

Le philosophe.

À moi les philosophes !

L’énergumène.

À moi la sainte Hermandad !

(Ici une demi-douzaine de philosophes arrivent d’un côté, et on voit accourir de l’autre cent dominicains avec cent familiers de l’Inquisition, et cent alguazils. La partie n’est pas tenable.)

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