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Si nous avions été plus modérés, je suis persuadé qu’on ne se serait pas tant révolté contre nous. Pardonnons, mon cher confrère, à ceux qui attaquent injustement les fondements d’un édifice que nous démolissons nous-mêmes, et dont nous prenons toutes les pierres pour nous les jeter à la tête.

Je pense que le seul moyen de ramener nos ennemis serait de ne leur montrer que de la charité et de la modestie ; mais nous commençons par prodiguer les noms de petits esprits, de libertins, de cœurs corrompus^, nous forçons leur amour-propre à se mettre contre nous sous les armes. Ne serait-il pas plus sage et plus utile d’employer la douceur, qui vient à hout de tout?

D’un côté, nous leur disons que nos opinions sont si claires qu’il faut être en démence pour les nier ; de l’autre, nous leur crions qu’elles sont si obscures « qu’il ne faut pas faire usage de sa raison avec elles ». Comment veut-on qu’ils ne soient pas embarrassés par ces deux expositions contradictoires ?

Chacune de nos sectes prétend le titre d’universelle; mais qu’avons-nous à répondre quand nos adversaires prennent une mappemonde et couvrent avec le doigt le petit coin de la terre où notre secte est confinée?

Montrons-leur qu’elle mériterait d’être universelle, si nous étions sages; ne les révoltons point en leur disant qu’il n’y a de probité que chez nous : voilà ce qui a le plus soulevé les savants. Ils ne conviendront jamais que Confucius, Pythagore, Zaieucus, Socrate, Platon, Caton, Scipion, Cicéron, Trajan, les Antonins, Épictète, et tant d’autres, n’eussent pas de vertu ; ils nous reprocheront de calomnier, par cette assertion odieuse, les hommes de tous les temps et de tous les lieux. Hélas! l’anabaptiste, les mains teintes de sang, aurait-il été bien reçu à dire, pendant le siège de Munster^ qu’il n’y avait de probité que chez lui? Le calviniste aurait-il pu le dire en assassinant le duc de Guise ; le papiste, en sonnant les matines de la Saint-Barthélemy ? Poltrot, Clément, Ghastel, Ravaillac, le jésuite Le Tellier, étaient très-dévots ; mais, en bonne foi, n’aimeriez-vous pas mieux la probité de La Motho Le Vayer, de Gassendi, de Locke, de Bayle, de Descartes, de Middlcton, et de cent autres grands hommes que je vous nommerais ? Non, mon frère, ne nous servons jamais de ces malheureux arguments qu’on rétorque si aisément

1. Expressions du discours de Lel’nmc de l’onipignan, qui a donné lieu aux pièces intitulées les Si, les Qucnid, etc. ( K.) — Voyez la note, page 111.

2. Voyez tome XII, page ’Ml.

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