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IGNORANCES STUPIDES ET MÉPRISES FUNESTES. 189

Le gros des hommes est dans ce cas pour les choses qui l'inté- ressent le plus, La routine les conduit dans toutes les actions de leur vie; on ne réfléchit que dans les grandes occasions, et quand il n'est plus temps. C'est ce qui a rendu presque toutes les admi- nistrations vicieuses; c'est ce qui a produit autant d'erreurs dans le gouvernement que dans la philosophie. En voici un exemple palpable tiré de l'arithmétique.

Le gouvernement de Suède eut autrefois besoin d'argent; le ministre emprunta et créa des rentes perpétuelles à cinq pour cent, comme avaient fait ses prédécesseurs. L'argent valait alors 25 livres idéales le marc ; ainsi le citoyen et l'étranger qui prêtè- rent chacun 40 marcs durent recevoir, à cinq pour cent, chacun 2 marcs de rente, c'est-à-dire 50 livres idéales; l'écu était alors à 2 livres chimériques et demie, qu'on nommait 50 sous chimé- riques. Ces 2 marcs réels composaient au rentier 20 écus de rente, qu'on appelait 50 livres.

Cependant les dépenses augmentèrent; l'État s'obéra de plus en plus; l'argent manqua. On conseilla au ministre de faire valoir le marc 50 livres au lieu de 25, et par conséquent de donner la dénomination de 5 livres à ce même écu qui n'en valait que 2 et demie. Par la' vertu de cette parole, il payera, disait-on, toutes les rentes en idée, et il ne donnera réellement que la moi- tié de ce qu'il doit. On promulgue l'édit : l'écu en vaut deux tout d'un coup; 50 sous numéraires sont changés en 100 sous numé- raires. Le sot peuple, à qui on dit que son argent a doublé de va- leur dans sa poche, se croit du double plus riche, et celui qui a prêté son argent a perdu en un moment et pour jamais la moitié de son bien. Mais qu'arrive-t-il de cette opération aussi injuste qu'absurde ? Le gouvernement ne reçoit plus que la moitié des impôts ; le cultivateur qui devait un écu ou 2 livres et demie idéales de taille ne donne plus que la moitié réehe d'un écu; et le gouvernement, en frustrant ses créanciers, est bien plus frustré par ses débiteurs. Il n'a d'autre ressource que de doubler les im- pôts, et cette ressource est une ruine. Rien n'est plus sensible que cet exemple.

On voit mille autres abus non moins pernicieux dans plus d'un État. On n'y remédie pas; on étaye comme on peut la mai- son prête à crouler, et on laisse le soin de la rebâtir à son suc- cesseur, qui n'en pourra venir à bout^

��t. Mon successeur, disait Louis XV en parlant de la situation de la France, s'en tirera comme il pourra. (B.)

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