U 13ANNISSE.MENT DES JÉSUITES
deux goujons, près de Betzaïda, comme le dit saint Luc*; enfin ii fut prêtre selon l'ordre de Melchisédecli -, quand il dit à ses disci- ples* qu'il allait leur donner son corps à manger. Étant donc prêtre comme lui, je vais changer ces pains en dieux : chaque miette de ce pain sera un dieu en corps et en âme ; vous croirez voir du pain, manger du pain, et vous mangerez Dieu.
« Enfin, quoique le sang de ce dieu soit dans le corps que j'aurai créé avec des paroles, je changerai votre vin rouge dans le sang de ce dieu même; pour surabondance de droit, je le boirai; il ne tiendra qu'à Votre Majesté d'en faire autant. Je n'ai qu'à vous jeter de l'eau au visage; je vous ferai ensuite portier, lecteur, con- jureur, acolyte, sous-diacre, diacre, et prêtre; vous ferez avec moi une chère divine. »
Aussitôt voilà frère Rigolet qui se met à prononcer des paroles en latin, avale deux douzaines d'hosties, boit chopine, et dit grâces très-dévotement.
« Mais, mon cher ami, lui dit l'empereur, tu as mangé et bu ton dieu : que deviendra-t-il quand tu auras besoin d'un pot de chambre ?
— Sire, dit frère Rigolet, il deviendra ce qu'il pourra, c'est son affaire. Quelques-uns de nos docteurs disent qu'on le rend à la garde-robe, d'autres qu'il s'échappe par insensible transpiration ; quelques-uns prétendent qu'il s'en retourne au ciel. Pour moi, j'ai fait mon devoir de prêtre, cela me suffit; et pourvu qu'après ce déjeuner on me donne un bon dîner avec quelque argent pour ma peine, je suis content.
— Or çà, dit l'empereur à frère Rigolet, ce n'est pas tout; je sais qu'il y a aussi dans mon empire d'autres missionnaires qui ne sont pas jésuites, et qu'on appelle dominicains, cordeliers, capucins: dis-moi, en conscience, s'ils mangent Dieu comme toi.
— Ils le mangent, sire, dit le bonhomme; mais c'est pour leur condamnation. Ce sont tous des coquins, et nos plus grands enne- mis; ils veulent nous couper l'herbe sous le pied. Ils nous accu- sent sans cesse auprès de notre saint-père le pape. Votre Majesté ferait fort bien de les chasser tous, et de ne conserver que les jésuites : ce serait un vrai moyen de gagner la vie éternelle, quand même vous ne seriez pas chrétien. »
L'empereur lui jura qu'il n'y manquerait pas. Il fit donner
��1. IX, 16.
2. Ps. cix, 4.
3. Matt., xxYi, 26.
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