< Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome27.djvu
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

II. — Or son épouse Anne pleurait de deux pleurs et était accablée d’un double chagrin, disant : Je pleure ma viduité et ma stérilité. Le grand jour du Seigneur étant donc arrivé, Judith, sa servante, lui dit : Jusqu’à quand enfin affligerez-vous votre âme ? Il ne vous est pas permis de pleurer, parce que c’est le grand jour du Seigneur[1]. Prenez donc ce diadème que m’a donné la maîtresse où j’allais travailler à la journée, et parez-en votre tête ; car, comme je suis votre servante, vous avez une forme royale ; et Anne lui dit : Laissez-moi[2], car je n’en ferai rien ; Dieu m’a trop humiliée. Prenez bien garde qu’il ne vous ait été donné par quelque voleur, et que Dieu ne m’implique dans votre péché. Judith, sa servante, lui répondit : Que vous dirai-je ? est-ce que je vous souhaite un plus grand mal, puisque vous n’écoutez pas ma voix ? Car c’est avec raison que Dieu vous a rendue stérile, pour ne vous point donner de fils en Israël. Et Anne en fut très-attristée ; et ayant quitté ses habits de deuil, elle orna sa tête et se vêtit de ses habits de noces[3] ; et sur les neuf heures, elle descendit dans son jardin pour se promener ; et voyant un laurier, elle s’assit dessous, et fit ses prières au Seigneur Dieu, disant : Dieu de mes pères, bénissez-moi, et écoutez mon oraison, comme vous avez béni le sein de Sara[4], et lui avez donné un fils Isaac.

III. — Et, regardant vers le ciel, elle vit dans le laurier un nid de moineau, et elle se plaignit en elle-même, et dit : Hélas ! que je suis malheureuse ! [à qui puis-je être comparée ?] qui est-ce qui m’a engendrée, ou quelle mère m’a enfantée pour que je naquisse ainsi maudite devant les enfants d’Israël ? car ils m’accablent de reproches et d’insultes ; ils m’ont chassée du temple du Seigneur mon Dieu. Hélas ! que je suis malheureuse ! [à qui suis-je devenue semblable ? Je ne puis point être comparée aux oiseaux du ciel, parce que les oiseaux sont féconds en votre présence, Seigneur ; car ce qui est en moi, je le remets en vous. Hélas ! que je suis malheureuse ! à qui puis-je être comparée ?] Je ne puis être comparée avec les animaux mêmes de la terre, parce qu’ils sont féconds en votre présence, Seigneur. Hélas ! que je suis malheureuse ! à qui suis-je semblable ? Je ne puis être comparée avec les eaux, parce qu’elles sont fécondes en votre présence [car les eaux elles-mêmes, tant claires que flottantes, vous louent avec les poissons de la mer]. Mais, hélas ! que je suis malheureuse ! à qui

  1. Ps. cxvii, v. 24. (Note de Voltaire.)
  2. Matth., ch. iv, v. 10. (Id.)
  3. Judith, x, v. 3. (Note de Voltaire.)
  4. Genes., xxi, v. 2. (Id.)
Cet article est issu de Wikisource. Le texte est sous licence Creative Commons - Attribution - Partage dans les Mêmes. Des conditions supplémentaires peuvent s'appliquer aux fichiers multimédias.