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Monsieur l’abbé[1] récusait de même le témoignage de tous les intendants des provinces de France et de nos ambassadeurs, qui, témoins de la décadence de nos manufactures et de leur transplantation dans le pays étranger, en avaient formé de justes plaintes. Nous aimâmes mieux les en croire que M. de Caveyrac, qui était moins à portée qu’eux d’être bien instruit.

Il prétend[2] que ceux qui s’expatrièrent n’étaient que des gueux à charge à l’État. Mais les La Rochefoucauld, les Bourbon-Malause, les La Force, les Ruvigny, les Schomberg, tant d’autres officiers principaux qui servirent sous le roi Guillaume et sous la reine Anne, étaient-ils des gueux ? Il est vrai qu’il sortit plusieurs familles pauvres, et qu’elles furent secourues par les rois d’Angleterre et de Prusse, par plusieurs princes de l’empire, par les Hollandais, par les Suisses. Cela même est un très-grand malheur. Les pauvres sont nécessaires à un État ; ils en font la base ; il faut des mains nécessitées au travail. Ceux qui auraient cultivé des campagnes en France allèrent défricher la Caroline, la Pensylvanie, et jusqu’à la terre des Hottentots. L’Orient et l’Occident, les extrémités de l’ancien et du nouveau monde, virent leurs travaux et leurs larmes.

Si donc l’Angleterre et la Hollande donnèrent à ces proscrits des asiles en Europe et au bout de l’univers, il est étrange que monsieur l’abbé se soit exprimé sur les Anglais en ces termes[3] : « Une fausse religion... devait produire nécessairement de pareils fruits ; il en restait un seul à mûrir ; ces insulaires le recueillent : c’est le mépris des nations. » On n’a jamais rien dit de si étrange.

Quelles sont donc les nations pour qui les Anglais ne sont qu’un objet de mépris ? Sont-ce les peuples qu’ils ont vaincus ? Sont-ce les peuples qu’ils ont secourus ? Est-ce l’Inde, où ils ont conquis des États trois fois plus grands et plus peuplés que l’An-

  1. Apologie, pages 110 et suiv.
  2. Apologie, page 95.
  3. Page 302. (Note de Voltaire.)
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