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L’Académie y trouve une contradiction ; mais il me paraît que ces deux vers veulent dire : Je suis satisfait, je suis vengé, mais je l’ai été trop aisément ; et je demande alors où est la contradiction. On a condamné instruisez-le d’exemple ; je trouve cette hardiesse

très-heureuse. Instruisez-le par exemple serait languissant ; c’est ce qu’on appelle une expression trouvée, comme dit Despréaux. J’ai osé imiter cette expression dans la Henriade :


Il m’instruisait d’exemple au grand art des héros ;

(Ch. II, v. 115.)


et cela n’a révolté personne.

Je prends aussi la liberté d’avoir quelquefois un avis particulier sur l’économie de la pièce. Ceux qui rédigèrent le jugement de l’Académie disent qu’il y aurait eu, sans comparaison, moins d’inconvénient dans la disposition du Cid de feindre, contre la vérité, que le comte ne fût pas trouvé à la fin véritable père de Chimène ; ou que, contre l’opinion de tout le monde, il ne fût pas mort de sa blessure.

Je suis très-sûr que ces inventions, d’ailleurs communes et peu heureuses, auraient produit un mauvais roman sans intérêt. Je souscris à une autre proposition : c’est que le salut de l’État eût dépendu absolument du mariage de Chimène et de Rodrigue. Je trouve cette idée fort belle ; mais j’ajoute qu’en ce cas il eût fallu changer la constitution du poëme.

En rendant ainsi compte à l’Académie de mon travail, j’ajouterai que je suis souvent de l’avis de l’auteur de Télémaque, qui, dans sa Lettre a l’Académie sur l’Éloquence, prétend que Corneille a donné souvent aux Romains une enflure et une emphase qui est précisément l’opposé du caractère de ce peuple-roi. Les Romains disaient des choses simples, et en faisaient de grandes. Je conviens que le théâtre veut une dignité et une grandeur au-dessus de la vérité de l’histoire ; mais il me semble qu’on a passé quelquefois ces bornes.

Il ne s’agit pas ici de faire un commentaire qui soit un simple panégyrique ; cet ouvrage doit être à la fois une histoire des progrès de l’esprit humain, une grammaire, et une poétique.

Je n’atteindrai pas à ce but ; je suis trop éloigné de mes maîtres, que je voudrais consulter tous les jours ; mais l’envie de mériter leurs suffrages, en me rendant plus laborieux et plus circonspect, rendra peut-être mon entreprise de quelque utilité.

Nota bene que je ne puis me servir dans le Cid de l’édition de

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