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LE MARQUIS.

Et vous son père, et vous qui l’aimiez tant,
Vous qui perdez une si chère enfant,
Un tel trésor, un cœur noble, un cœur tendre,
Avez-vous pu souffrir, sans la défendre,
Que de vos bras on osât l’arracher ?
Un tel malheur semble peu vous toucher.
Que devient donc l’amitié paternelle ?
Vous m’étonnez.


DIGNANT.

Tout mon cœur est pour elle,
C’est mon devoir ; et j’ai dû pressentir
Que par votre ordre on la faisait partir.


LE MARQUIS.

Par mon ordre ?


DIGNANT.

Oui.


LE MARQUIS.

Quelle injure nouvelle !
Tous ces gens-ci perdent-ils la cervelle ?
Allez-vous-en, laissez-moi, sortez tous.
Ah ! s’il se peut, modérons mon courroux…
Non ; vous, restez.


MATHURIN.

Qui ? moi ?


LE MARQUIS, à Dignant.

Non ; vous, vous dis-je.


Scène IV.



LE MARQUIS, sur le devant ; DIGNANT, au fond.



LE MARQUIS.

Je vois d’où part l’attentat qui m’afflige.
Le chevalier m’avait presque promis
De se porter à des coups si hardis.
Il croit au fond que cette gentillesse
Est pardonnable au feu de sa jeunesse :
Il ne sait pas combien je suis choqué.
À quel excès ce fou-là m’a manqué !
Jusqu’à quel point son procédé m’offense !
Il déshonore, il trahit l’innocence ;
Il perd Acanthe ; et pour percer mon cœur,
Je n’ai passé que pour son ravisseur !
Un étourdi, que la débauche anime,
Me fait porter la peine de son crime :
Voilà le prix de mon affection
Pour un parent indigne de mon nom !
Il est pétri des vices de son père ;
Il a ses traits, ses mœurs, son caractère ;
Il périra malheureux comme lui.
Je le renonce, et je veux qu’aujourd’hui
Il soit puni de tant d’extravagance.

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