la face large, ravinée et roussie par la flamme. Un front bossué, un nez en bec d’aigle et des yeux de braise, entre des joues que des laves semblaient avoir dévastées. Une bouche enflée, tordue, d’un rouge fauve de brûlure. Et des mains qui avaient la couleur et la force de deux pinces de vieil acier. Puis, Luc regardait le fils, Petit-Da, comme on le nommait d’un surnom qui lui était resté, parce que, tout enfant, il prononçait mal certains mots, et qu’il avait failli, un jour, laisser ses petits doigts dans une gueuse de fonte à peine refroidie. Un autre colosse, presque aussi gigantesque que son père, dont il avait la face carrée, le nez souverain, entre des yeux flamboyants, mais moins durci, moins touché par le feu, sachant lire ce qui adoucissait et éclairait ses traits d’une pensée nouvelle. Puis, Luc regardait la fille, Ma-Bleue, que le père, avec tendresse, avait toujours nommée ainsi, tellement ses grands yeux bleus de déesse blonde étaient bleus, d’un bleu clair, infini, si vaste, qu’on ne voyait plus, dans son visage, que ce bleu de ciel sans bornes. Une déesse de haute taille, d’une beauté magnifique et simple, la plus belle, la plus muette, la plus sauvage du pays, dont la sauvagerie pourtant rêvait, lisant des livres, voyant venir au loin des choses que son père n’avait point vues, et dont l’attente inavouée la rendait frissonnante. C’était pour Luc un émerveillement que ces trois héros, cette famille où il sentait le long labeur écrasant de l’humanité en marche, l’orgueil de l’effort douloureux et sans cesse repris, l’antique noblesse du travail meurtrier.
Mais Jordan était repris d’inquiétude.
« Une vilaine histoire, Morfain, comment cela ?
— Oui, monsieur Jordan, une des tuyères s’était engorgée pendant deux jours, j’ai bien cru que nous allions avoir un malheur, et je n’en ai pas dormi, tant j’avais du chagrin qu’une telle chose pût m’arriver, à moi, pendant