Luc se coucha, éteignit la lumière, espérant que la fatigue de corps et d’esprit qui le brisait, allait l’endormir d’un bon sommeil, où sa fièvre se calmerait enfin. Mais, dans le grand silence, dans l’obscurité de la vaste chambre, il ne put fermer les paupières, ses yeux s’élargirent sur les ténèbres, une terrible insomnie le tint brûlant, en proie à l’idée obstinée, dévoratrice.
Et ce fut Josine qui s’évoqua, toujours renaissante, revenant dans l’air léger, avec son visage d’enfance, d’un charme si douloureux. Il la revit en larmes, affamée, terrorisée, attendant à la porte de l’Abîme ; il la revit dans le cabaret, jetée à la porte par Ragu, d’un tel geste de violence, que le sang coulait de sa main mutilée ; il la revit sur le banc, près de la Mionne, abandonnée sous la nuit tragique, n’ayant plus que la chute définitive au ruisseau, satisfaisant sa faim en pauvre bête errante. Et, à cette heure, après ses trois jours d’enquête inattendue, presque inconsciente, que le destin venait de l’amener à faire, tout ce qu’il avait vu du travail injustement distribué, méprisé comme une honte sociale, aboutissant à l’atroce misère du plus grand nombre, se résumait pour lui dans le cas affreux de cette triste fille, dont son cœur était bouleversé.
Alors, les visions se levèrent en foule, se pressèrent, le torturèrent par leur hantise. C’était la terreur soufflant au