I
PRIÈRES POUR DEMANDER LA FOI
ET LA RÉSIGNATION
AUX VOLONTÉS DE DIEU
Près de huit ans avant sa conversion, Huysmans, tourmenté du besoin de croire, adresse au ciel cette supplique qui peut être considérée comme sa première prière :
Seigneur, prenez pitié du chrétien qui
doute, de l’incrédule qui voudrait croire,
du forçat de la vie qui s’embarque seul,
dans la nuit, sous un firmament que n’éclairent plus les consolants fanaux du vieil
espoir ! (À rebours.)
Avoir la Foi enfantine, la Foi immobile, l’indéracinable Foi ! Ah ! Père, Père, enfoncez-la, rivez-la en moi ! (En route.)
Ah ! Seigneur, souvenez-vous de l’enclos de Gethsemani, de la tragique défection du Père que vous imploriez dans d’indicibles affres ! Souvenez-vous alors qu’un ange vous consola et ayez pitié de moi, parlez, ne vous en allez pas ! (En route.)
Cédant aux sollicitations d’En-Haut et à la veille de gagner la Trappe de N.-D. de l’Atre, où il se convertira, Durtal se voit arrêté par la maladie. Il adresse cette prière à Dieu, pour lui demander sa guérison :
Mon âme est un mauvais lieu, elle est sordide et mal famée ; elle n’a aimé jusqu’ici que les perversions ; elle a exigé de mon malheureux corps la dîme des délices illicites et des joies indues ; elle ne vaut pas cher, elle ne vaut rien ; et cependant, près de vous, là-bas, si vous me secouriez je sens bien que je la materais ; mais mon corps, s’il est malade, je ne puis le forcer à m’obéir ! c’est pis que tout, cela ! je suis désarmé si vous ne venez à mon aide.
Tenez compte de ceci, Seigneur, je sais par expérience que dès que je suis mal nourri, je névralgise : humainement, logiquement, je suis assuré d’être horriblement souffrant à Notre-Dame de l’Atre et néanmoins, si je suis à peu près sur pieds, après-demain, j’irai quand même.
À défaut d’amour, c’est la seule preuve
que je puisse vous fournir que vraiment je
vous désire, que vraiment j’espère et que
je crois en vous ; mais alors, Seigneur,
assistez-moi ! (En route.)
J’ai peur de l’avenir et de son ciel chargé et j’ai peur de moi-même, car je me dissous dans l’ennui et je m’enlise. Vous m’avez toujours donné la main jusqu’ici, ne m’abandonnez pas, achevez votre œuvre. Je sais bien que c’est folie de se préoccuper ainsi du futur car votre Fils l’a déclaré : « à chaque jour suffit sa peine », mais cela dépend des tempéraments ; ce qui est facile aux uns est si difficile pour les autres ; j’ai l’esprit remuant, toujours inquiet, toujours aux écoutes et, quoi que je fasse, il bat la campagne à tâtons et il s’égare ! Amenez-le, tenez-le près de vous en laisse, bonne Mère, et donnez-moi, après tant de fatigues, un gîte !
Ah ! ne plus être ainsi divisé ! demeurer impartible ! avoir l’âme assez anéantie pour ne plus ressentir que les douleurs, ne plus éprouver que les joies de la Liturgie ! ne plus être requis chaque jour que par Jésus et par Vous ; ne plus suivre que votre propre existence se déroulant dans le cycle annuel des offices ! se réjouir avec la Nativité, rire à Pâques-fleuries, pleurer pendant la Semaine-Sainte, être indifférent au reste, pouvoir ne plus se compter, se désintéresser complètement de sa personne, quel rêve ! (La cathédrale.)
Ah ! sainte Vierge, sainte Vierge, prenez pitié des âmes rachitiques, qui se traînent si péniblement quand elles ne sont plus sous votre lisière ; prenez pitié des âmes endolories pour lesquelles tout effort est une souffrance, des âmes que rien ne dépite et que tout afflige ! prenez pitié des âmes sans feu ni lieu, des âmes voyagères, inaptes à se grouper et à se fixer, prenez pitié des âmes veules et recrues, prenez pitié de toutes ces âmes qui sont la mienne, prenez pitié de moi ! (La cathédrale.)
Dans le service du Seigneur tout n’est pas rose ! Si l’on consulte les biographies de saints, on voit ses élus torturés par les plus effroyables des maladies, par les plus douloureuses des épreintes ; décidément c’est pas drôle la sainteté sur la terre, c’est pas drôle la vie ! Il est vrai que pour les saints l’excessif des souffrances est, ici-bas déjà, compensé par l’extrême des joies ; mais pour le reste des chrétiens, pour le misérable fretin que nous sommes, quelle détresse et quelle pitié !
.....Dieu agit avec nous comme avec les plantes ; il est en quelque sorte l’année de l’âme, mais une année où l’ordre naturel des saisons est interverti, car les saisons spirituelles commencent par le printemps, auquel succède l’hiver, et l’automne arrive, suivi à son tour par l’été ; au moment de la conversion c’est le printemps, l’âme est en liesse et le Christ sème en elle ses graines ; puis viennent le froid et l’obscurité ; l’âme terrifiée se croit abandonnée et se plaint, mais sans qu’elle le sente, pendant ces épreuves de la vie purgative, les graines germent sous la neige ; elles lèvent dans la douceur contemplative des automnes, fleurissent enfin dans la vie unitive des étés.
Oui, mais chacun doit être l’aide jardinier de sa propre âme, chacun doit écouter
les instructions du Maître qui trace la besogne et dirige l’œuvre. Hélas ! nous ne
sommes plus ces humbles ouvriers du
moyen âge qui travaillaient en louant
Dieu, qui se soumettaient sans discuter aux
ordres du patron ; nous, nous avons par
notre peu de foi épuisé le dictame des
prières, le polypharmacon des oraisons ; dès
lors tout nous paraît injuste et pénible et
nous regimbons, nous exigeons des engagements, nous hésitons à entreprendre
notre tâche ; nous voudrions être payés
d’avance, tant notre défiance nous rend
vils ! Ah ! Seigneur, donnez-nous la grâce
de prier et de ne pas même avoir l’idée
de vous réclamer des arrhes, donnez-nous
la grâce d’obéir et de nous taire ! (La cathédrale.)
Si la schlague divine s’apprête, tendons le dos ; montrons, du moins, un peu de bonne volonté. On ne peut pourtant pas toujours être dans la vie spirituelle ce qu’est dans la vie matérielle, le mari de la blanchisseuse ou de la sage-femme, le monsieur qui regarde en se tournant les pouces !
Ah ! mon cher Seigneur, donnez-nous la grâce de ne pas nous marchander ainsi, de nous omettre une fois pour toutes, de vivre enfin, n’importe où, pourvu que ce soit loin de nous-mêmes et près de Vous ! (L’oblat.)