I. SOURCE PRINCIPALE.
[Nous en rapprochons, en petits caractères, les passages de Salammbô qui en sont inspirés.]
La première guerre punique vient de prendre fin. Elle a eu pour théâtre la Sicile, dont Rome et Carthage se disputaient la possession. Elle s’est terminée, en 241 av. J.-C., par la défaite d’Hannon et d’Hamilcar, aux îles Ægates, après de sanglants combats contre les forces romaines, commandées par Lutatius. Un traité de paix réconcilia, provisoirement, les deux Républiques.
LXVI. Aussitôt le traité conclu, Hamilcar Barca conduisit à Lilybée les troupes cantonnées à Eryx (*) ; cela fait, il se démit du
Mais le trésor des Carthaginois était vide, épuisé par les dépenses de la dernière guerre ; d’autre part, ils espéraient obtenir des Barbares la remise d’une partie de leur solde arriérée, même s’ils les rassemblaient tous à Carthage. C’est pourquoi, tous les Mercenaires qui leur arrivaient, ils les retinrent et les laissèrent s’accumuler dans leurs murs (*). De là, jour et nuit, des désordres.
Les Carthaginois ne tardèrent pas à s’émouvoir du nombre de ces soldats ; ils redoutaient les troubles qu’engendre la multitude ; ils s’adressèrent donc aux chefs des Mercenaires : « En attendant l’arrivée des derniers convois, et pendant que l’on prendrait les mesures nécessaires à la paye de la solde, accepteraient-ils de se retirer, eux et leurs hommes, dans la ville de Sicca ? On leur donnerait l’argent nécessaire aux besoins les plus urgents » (*).
Les Mercenaires acceptèrent de bonne grâce. Ils demandaient seulement à laisser là leurs bagages, femmes et enfants, comme ils l’avaient déjà fait précédemment ; ils les reprendraient en venant toucher leur solde. Les Carthaginois refusèrent. Ils se dirent que parmi ces hommes qui venaient de faire un long séjour au loin, et que devait solliciter le désir de revoir qui sa femme, qui ses enfants, les uns refuseraient de quitter la ville, les autres, à peine partis, voudraient y revenir, ce serai une occasion de troubles (*). C’est pourquoi ils les forcèrent, malgré
Rassemblés à Sicca, les Barbares s’y trouvèrent dans un état d’oisiveté et de désœuvrement qu’ils n’avaient pas connu depuis bien longtemps : nul état n’est plus dangereux pour des troupes étrangères ; c’est pour ainsi dire la source unique des révoltes. Il en fut ainsi pour les Mercenaires (*). Il s’en trouvait, parmi eux,
LXVII. Aussi, lorsque, réunis à Sicca, ils entendirent Hannon, qui commandait alors les forces carthaginoises en Afrique, loin de tenir la parole des chefs, invoquer au contraire la lourdeur des charges qui pesaient sur la ville, parler de la misère générale (*),
Ces bandes étaient formées d’un ramassis de Gaulois, d’Espagnols, de Ligures, de Baléares, de demi-Grecs, pour la plupart esclaves ou déserteurs, et surtout d’Africains (*).
Un seul homme ne pouvait donc pas les réunir tous ensemble, pour leur donner des conseils, et tout autre moyen de leur parler était impraticable.
Le général pouvait-il s’adresser à chacun dans son dialecte spécial. Aurait-il au contraire recours à des interprètes ? C’était s’obliger à revenir quatre ou cinq fois de suite sur les mêmes sujets ; la difficulté était plus grande encore (*).
Restait de s’adresser aux capitaines, et, par eux, de transmettre aux insurgés conseils ou prières. C’est ce que fit Hannon (*).
Mais les capitaines, pour la plupart, ne comprenaient pas davantage ce qu’il leur disait (*).
Il arrivait aussi que, les uns par ignorance, les autres par perfidie, ils dénaturaient complètement, en les traduisant aux soldats, les paroles des chefs (*) ; et la confusion, la défiance,
De plus, les Mercenaires en voulaient à Carthage du choix de son ambassadeur : au lieu de leur adresser les généraux qui savaient tous les services qu’ils avaient rendus en Sicile et qui même leur avaient fait des promesses solennelles, la République leur envoyait à dessein un homme qui n’avait participé en rien aux épreuves communes ; cet Hannon, ils le méprisaient profondément ; ces officiers subalternes, ils s’en défiaient ; cette République se moquait d’eux. Ils marchèrent donc sur Carthage, et, au nombre de plus de cent vingt mille, vinrent camper à une distance de cent vingt stades de la ville, près de Tunis (*).
LXVIII. Quand les Carthaginois comprirent leur erreur, il était déjà trop tard. Ils avaient commis une première faute en laissant s’amasser dans une même région une telle multitude de Barbares, alors qu’ils ne pouvaient espérer, en cas de conflit, aucun secours sérieux de leurs troupes nationales ; et, faute plus grave encore, ils avaient laissé échapper les femmes, les enfants, les bagages des Mercenaires, au lieu de s’en servir comme d’autant d’otages, pour envisager la situation avec plus de calme et peser avec plus de poids sur la détermination des Barbares.
Voilà que le camp ennemi était à leurs portes : ils en furent effrayés.
Comment essayer de calmer la fureur de ces hordes déchaînées ? On s’y employa par tous les moyens. Les Mercenaires demandaient des vivres, on leur en envoya à profusion (*), pour des prix (*)
À maintes reprises, on leur dépêcha en ambassade des sénateurs (*) avec promesse de satisfaire à leurs réclamations, aussitôt
Tous les jours, les Mercenaires imaginaient de nouvelles prétentions (*) : elles croissaient avec leur audace, et avec la crainte
C’est pourquoi, après avoir obtenu ce qu’ils voulaient sur la question de la solde, ils avancèrent de nouvelles exigences : Carthage devait leur rembourser la valeur des chevaux qu’ils avaient perdus à la guerre (*). Carthage ayant cédé sur ce nouveau
Enfin, chaque invention nouvelle en amenait une autre, et, poussés par un tas d’intrigants et d’hommes sans aveu, les Barbares exigeaient pour leur soumission des sacrifices de moins en moins acceptables. Les Carthaginois étaient néanmoins résignés à toutes les concessions : ils proposèrent de s’en remettre à l’arbitrage des généraux qui avaient commandé en Sicile. Ils allèrent même plus loin ; les Barbares ne voulaient pas entendre parler d’Hamilcar Barca, leur ancien chef ; ce général, qui ne daignait même pas se présenter en député auprès d’eux, et qui avait abandonné leur commandement, ils le tenaient pour le principal responsable de leur situation ; au contraire, leur sympathie allait à Giscon, qui, durant son commandement en Sicile et surtout pendant le retour, s’était montré en mainte circonstance plein de bienveillance à leur endroit : c’est Giscon qui fut donc désigné comme arbitre (*).
LXIX. Giscon arriva à Tunis, par mer, avec de l’argent (*). Il
Mais il y avait parmi les Mercenaires un Campanien, ancien esclave déserteur de Rome, d’une force merveilleuse et d’une astuce incroyable à la guerre : il s’appelait Spendius (*). Cet homme
c’est pourquoi il n’était discours ni manœuvres qu’il n’employât pour faire échouer l’arrangement projeté entre les rebelles et Carthage. Il avait avec lui un Libyen, du nom de Mathos, homme de naissance libre, qui avait servi en Sicile, et était alors l’âme de tous les troubles (*). Mathos avait peur de payer pour les autres,
Il (*) alla donc trouver les Libyens (*) et leur dit : « Quand les
Ces paroles soulevèrent les Libyens ; sous le fallacieux prétexte que Giscon, en acquittant la solde, remettait à plus tard le remboursement du blé et des chevaux (*), ils se déchaînèrent
Toutes les calomnies, toutes les accusations de Spendius et de Mathos contre Giscon et contre Carthage portaient leurs fruits : quiconque demandait la parole était lapidé et avant même que l’on sût si c’était en faveur de Spendius qu’il parlait ou contre lui (*)· Les hommes, soldats ou capitaines, qui périrent de la sorte
LXX. Dans l’anarchie et le tumulte universels, Giscon comprit toute la gravité du danger que courait la République ; et comme l’intérêt de Carthage passait, à ses yeux, avant tout, il ne désespéra pas de son œuvre : il continua à lutter contre la tempête (*) ;
À ces mots, leur fureur ne connut plus de bornes : ils se jetèrent sur l’argent (*) et arrêtèrent Giscon et sa suite(*).
Mathos et Spendius, espérant que la guerre allait éclater enfin, si les Barbares se portaient à des actes réprouvés par le droit des gens, se mirent à les exciter encore, et non contents d’avoir pillé l’argent, les Barbares saccagèrent tous les bagages des Carthaginois (*). Enfin, Giscon et les siens furent ignominieusement
Dès lors, par une entente criminelle et au mépris de toutes les lois humaines, les Barbares portèrent contre Carthage une guerre ouverte. Tels furent les débuts de cette lutte, que l’on a appelée la guerre d’Afrique.
Mathos, tous ces exploits accomplis, expédia des hommes en ambassade à toutes les villes de la Libye, pour les appeler à la révolte et réclamer leur appui (*). La plupart se joignirent ardemment
Alors les Barbares divisèrent leurs forces en deux armées ; l’une irait attaquer Utique et l’autre Hippone (*), car, seules parmi
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XXII. De toutes ces calamités si terribles, Carthage portait une lourde part de responsabilité. Durant la campagne précédente, s’autorisant des nécessités de la guerre pour se montrer exigeante, la République avait durement traité les Africains : elle leur avait pris la moitié de leurs récoltes ; elle avait frappé les villes d’impôts deux fois plus lourds qu’auparavant ; insensible et sourde aux supplications des pauvres, elle donnait ses encouragements et son estime non pas aux gouverneurs humains envers le peuple et bienveillants, mais à ceux qui, comme Hannon, par de douloureuses exactions, faisaient rendre le plus d’argent et savaient accroître les ressources de la République (*).
Aussi, il ne fut pas besoin de longues exhortations pour faire prendre les armes à ces populations irritées : la seule nouvelle de la guerre suffit à les leur faire prendre (*) ; les femmes, qui
LXXIII. Tant de calamités épuisaient la République. Cependant, elle investit du commandement de ses forces Hannon, le conquérant des campagnes d’Hécatompyle, en Libye (*) ; elle enrôla
Cependant l’armée de Mathos, grossie d’environ soixante-dix mille Africains et divisée en deux corps, assiégeait tranquillement Utique et Hippone. Son camp, établi devant Tunis (*), était
LXXIV. Hannon excellait aux préparatifs de la guerre ; il les poussa énergiquement. Mais dès qu’il se mettait en campagne, c’était un tout autre homme : il ne savait pas profiter des circonstances, et les événements le trouvaient désarmé et sans ressort. On le vit tout de suite : ayant marché au secours d’Utique (*), il avait commencé par jeter l’effroi parmi les ennemis,
À peine les éléphants se furent-ils avancés (*) que les ennemis,
LXXV. Voyant la tournure que prenaient les choses entre les mains d’Hannon, les Carthaginois appelèrent de nouveau au commandement Hamilcar Barca (*) ; ils l’envoyèrent contre les
Dès sa première campagne, Hamilcar fondit sur les Barbares, les étourdit, jeta la confusion dans leurs âmes et délivra Utique ; il apparut alors, digne à la fois de ses anciens exploits et des espérances du peuple. Voici comment les choses se passèrent. Les collines qui enserrent le défilé par lequel Carthage communique avec l’Afrique sont d’un abord difficile, et ne permettent l’accès de la plaine que par quelques chemins tracés de main d’homme.
Les positions les plus avantageuses, Mathos avait eu soin de les faire toutes garder par ses troupes (*). De plus, il occupait
Il avait remarqué qu’à l’endroit où le Makar se jette dans la mer les sables s’y amoncelaient sous l’influence de certains vents et formaient ainsi une chaussée naturelle, recouverte par une mince couche d’eau (*). Il ordonna donc à ses hommes de se tenir
LXXVI. À cette vue, Spendius avec ses soldats se porta contre Hamilcar (*), cependant que ceux qui gardaient la ville à
Lui, cependant, continuait à avancer : les éléphants venaient en tête, puis la cavalerie, puis les fantassins et en arrière-garde les soldats lourdement chargés (*). Et tout à coup, lorsqu’il vit les
Les Africains et les Mercenaires, croyant que les Carthaginois se débandaient pour prendre la fuite, rompirent les rangs, se jetèrent sur eux et en vinrent résolument aux mains. Mais voici que la cavalerie, tournant bride subitement, vint se ranger auprès des premières lignes ; voici que le reste de l’armée d’Hamilcar revenait au combat ; à cette vue, les Barbares, surpris par la manœuvre, au milieu de leur poursuite désordonnée, en furent réduits à la déroute : les uns, se rejetant sur ceux qui les suivaient, les entraînaient avec eux dans leur perte ; les autres, et ce furent les plus nombreux, furent écrasés par les éléphants ou anéantis par la cavalerie*. Il resta sur le terrin près de six mille
LXXVII. Cependant, Mathos restait devant Utique, dont il continuait le siège ; il recommanda à Autarite, le chef des Gaulois, et à Spendius de ne pas perdre de vue Hamilcar : ils devaient fuir les plaines, à cause du grand nombre de chevaux et d’éléphants dont disposait l’ennemi, et suivre le pied des montagnes pour fondre sur les Carthaginois à la première occasion (*).
En même temps il envoya demander des renforts aux Numides et aux Libyens, en les suppliant de ne pas laisser passer une occasion si favorable à la conquête de leur liberté. Spendius leva donc, sur les diverses nations qu’il avait sous ses ordres, à Tunis, une troupe d’environ six mille hommes, et se mit à suivre les Carthaginois dans leurs évolutions, en utilisant la montagne. Il avait également avec lui les Gaulois d’Autarite, environ deux mille hommes ; le reste des Mercenaires gaulois avait, jadis, lors du siège d’Eryx, passé aux Romains. Hamilcar venait de s’arrêter dans une plaine que des montagnes entouraient de toutes parts, lorsque précisément les troupes de renfort, envoyées aux Barbares par les Numides et les Libyens, firent leur jonction avec celles de Spendius (*). De sorte qu’Hamilcar se trouva subitement
LXXVIII. Or il y avait, en ce temps-là, un chef Numide du nom de Naravas, guerrier plein de valeur et l’un des plus considérables parmi les siens ; il avait toujours éprouvé pour Carthage une affection que lui avait léguée son père et qui, dans les circonstances présentes, s’était accrue de l’admiration que lui inspirait Hamilcar. Il jugea le moment venu de renouer avec lui et d’engager des pourparlers ; accompagné d’une centaine de Numides, il se rendit au camp d’Hamilcar et, arrivé au pied des retranchements, s’arrêta et fit signe de la main (*). Intrigué, le
La confiance dont le jeune chef avait témoigné en se rendant au camp, autant que la franchise de ses paroles, charmèrent si fort Hamilcar, que, non content d’accepter l’offre de son alliance, il lui promit de lui donner sa fille (*), si Naravas restait fidèle à
LXXIX. Il arriva qu’à la même époque, en Sardaigne, les Mercenaires que Carthage entretenant dans l’île suivirent l’exemple de Mathos et de Spendius : ils se soulevèrent contre les Carthaginois. Ils commencèrent par emprisonner dans la citadelle le commandant des troupes auxiliaires, un certain Bostar, puis ils le mirent à mort en même temps que ses compatriotes. La République expédia en Sardaigne des troupes, avec Hannon comme général ; mais ces troupes firent elles-mêmes défection et passèrent aux rebelles ; les Mercenaires se saisirent d’Hannon, le mirent en croix (*) et finirent par exterminer tous les Carthaginois de
Et pendant qu’il parlait de la sorte, voici que parut un second courrier ; il se disait envoyé par les gens de Tunis (*) : les conseils
LXXX. Autarite le Gaulois prit la parole : « Il n’y a pour nous, dit-il, qu’un moyen de salut, c’est d’abandonner tout espoir en Carthage. Quiconque attend quelque chose de la générosité de ces gens, ne saurait être un allié véritable. Ceux qu’il faut croire, ceux qu’il faut écouter, ceux à qui il faut obéir, ce sont ceux qui vous proposeront contre Carthage les extrémités les plus violentes et les plus impitoyables ; les autres, vous les traiterez en ennemis et en traîtres (*) ». Il termina par cette exhortation :
Il était écouté dans les assemblées, parce que la plupart comprenaient ses paroles ; à vivre depuis si longtemps dans les armes, il avait appris le phénicien, et la majeure partie des soldats entendaient suffisamment cette langue, qu’ils avaient eu le temps d’apprendre pendant la dernière campagne. Sa harangue eut un immense succès, et il se retira sous les applaudissements. Cependant, un grand nombre de capitaines des diverses nations se précipitèrent en souvenir de la bienveillance que Giscon leur avait jadis témoignée, ils voulaient s’élever contre ce supplice de la croix (*). Mais il était impossible de saisir ce qu’ils disaient, car
Quant à Giscon et aux autres prisonniers, au nombre d’environ sept cents, les gens de Spendius se saisirent d’eux, les entraînèrent hors des retranchements et, arrivés en vue du camp carthaginois, leur coupèrent d’abord les mains. Ce même Giscon que, peu de temps auparavant, ils préféraient à tous les autres Carthaginois, qu’ils appelaient leur bienfaiteur et avaient pris pour arbitre, c’est par qui qu’ils commencèrent le supplice (*).
On les mutila, on les mit à la torture, on leur cassa les jambes (*), et, vivants encore, on les jeta dans une fosse (**).
LXXXI. C’était, pour les Carthaginois, un malheur affreux et irréparable ; ils en reçurent la nouvelle avec une douleur indignée et mandèrent à Hamilcar et à Hannon, leur autre général, de les assister dans leur malheur et de venger les suppliciés.
En même temps, ils envoyèrent des hérauts aux rebelles, pour leur demander la permission d’enlever leurs morts (*). Les Barbares
LXXXII. Alors Hamilcar, cruellement anxieux devant tant d’atrocités, appela auprès de lui Hannon ; il espérait que les deux armées réunies viendraient plus facilement à bout des Barbares (*).
Or, au moment même où les Carthaginois auraient pu se flatter des espérances les plus sérieuses, un coup terrible et imprévu allait les atteindre. À peine réunis, les deux généraux en vinrent à un tel degré de désaccord que, non contents de laisser échapper les occasions de battre l’ennemi, ils lui permirent, bien des fois, de prendre sur eux l’avantage ; tant était ardente la rivalité qui les animait (*). Avertie de ce dissentiment, la République
Ces malheurs ne furent pas les seuls : la ville d’Empories avait expédié par mer un convoi de vivres et de provisions que l’on attendait avec la plus vive impatience ; il fut assailli par une tempête et englouti dans les flots (*).
De plus, nous avons vu que la Sardaigne avait secoué le joug de Carthage et c’était une île qui, plus d’une fois, dans des circonstances critiques, avait rendu à la République des services considérables (*).
Enfin, calamité plus grande encore, Hippone et Utique, les seules villes d’Afrique qui eussent soutenu loyalement la guerre, qui avaient, jadis, repoussé les assauts d’Agathocle et ceux des Romains et qui, en aucun temps, n’avaient fomenté contre Carthage, Hippone et Utique passèrent à l’ennemi (*). Bien plus,
En présence de ces événements, Mathos et Spendius s’enhardirent ; et décidèrent de mettre le siège devant Carthage elle-même (*).
Cependant la République envoya auprès d’Hamilcar le général Hannibal (*) ; elle le plaçait à la tête des troupes qui, avec la
LXXXIII. Carthage, cernée de tous côtés, se trouva réduite à implorer secours auprès des villes ses alliées. Hiéron de Syracuse avait suivi jusque-là les péripéties de cette guerre avec la plus vive attention et, en toute circonstance, s’était employé de son mieux à satisfaire aux demandes de Carthage ; cette nouvelle démarche le trouva plus zélé que jamais, car il estimait conforme à ses intérêts personnels et nécessaire au maintien de son autorité en Sicile et à ses bonnes relations avec Rome de sauver Carthage. Il ne voulait pas que Rome, devenue maîtresse sans rivale, conduisit le monde à son gré (*) ; prudente et sage conception !…
De sorte que les Carthaginois, grâce à l’appui de ces amitiés, purent soutenir le siège (*).
LXXXIV. Mathos et Spendius n’étaient pas moins assiégés qu’assiégeant, et Hamilcar les réduisit à une telle disette qu’il leur fallut finalement lever le siège (*). Au bout d’un certain temps
Durant cette campagne, ils ne se montrèrent inférieurs à leurs adversaires ni par la vigueur de leurs attaques, ni par leur hardiesse, mais leur expérience leur valut plus d’un échec ; c’est alors, semble-t-il, et par cet exemple, que l’on peut juger toute la distance qui sépare une tactique rigoureuse et l’habileté d’un vrai général des procédés d’une soldatesque combattant sans méthode et sans dessein. On vit plus d’une fois Hamilcar, coupant la retraite à des détachements isolés, les envelopper comme un joueur habile et les exterminer. Ou bien, lorsque l’ennemi lui offrait une bataille rangée, il l’attirait dans quelque adroite embuscade et le décimait (*). Tantôt le jour, tantôt la nuit,
LXXXV. Enfin leur ultime nourriture s’épuisa ; il ne restait plus de prisonniers, plus d’esclaves (*), et Tunis n’envoyait toujours rien.
LXXXVI. Pour la seconde fois, Hamilcar rendait l’espérance à Carthage, alors qu’elle croyait tout perdu. Avec Naravas et Hannibal, il parcourut la campagne et es villes et, ayant reçu la soumission des Africains, que ses derniers exploits venaient de rallier à la République et repris presque toutes les places, les trois généraux marchèrent sur Tunis, décidés à assiéger Mathos (*).
LXXXVII. … Carthage, une fois de plus, fit tête au destin ; elle choisit trente sénateurs, et parmi eux Hannon, ce même général que l’on avait jadis obligé à quitter son armée ; elle équipa en outre ce qui lui restait de citoyens valides et envoya à Hamilcar sénateurs, troupes et général. Les sénateurs avaient pour mission expresse de mettre fin, par tous les moyens en leur pouvoir, aux divisions entre les généraux et de les réconcilier devant les malheurs de la patrie. Au cours de l’entrevue qu’ils eurent avec les chefs, ils se montrèrent si pressants et si éloquents qu’Hamilcar et Hannon durent céder : ils se rapprochèrent. À partir de ce jour, préoccupés seulement du salut de Carthage, ils y travaillèrent en toute circonstance. Ils infligèrent d’abord à Mathos de multiples défaites, au cours d’engagements successifs, près de Leptis et devant d’autres places (*) et l’amenèrent enfin à
… Hamilcar acceptait leur défi.
Mathos tomba vivant aux mains des Carthaginois (*).
LXXXVIII. Aussitôt après cette victoire, Carthage rétablit son autorité sur tout le reste de la Libye. Il ne restait plus qu’Utique et Hippone… Mais Hamilcar et Hannon les forcèrent bientôt à capituler… Quant à Mathos et à ses compagnons, au cours d’un triomphe célébré dans Carthage, les jeunes gens leur infligèrent les supplices les plus cruels(*). La lutte avait duré trois ans et