le style et l’esprit de la première personne, de donner, devant le personnage, à l’auteur et au lecteur le minimum d’existence.
Ce mélange du discours direct et du discours indirect, en partie recréé par Flaubert, se traduit par de curieuses dissonances de temps. « D’où vient qu’il retournait aux Berteaux, puisque M. Rouault était guéri[1] ? » « Sénécal continuait : l’ouvrier, vu l’insuffisance des salaires, était plus malheureux que l’ilote, le nègre et le paria, s’il a des enfants surtout[2]. »
Au cours d’une discussion que nous eûmes autrefois dans la Nouvelle Revue française, Marcel Proust attribua à Flaubert l’invention de ce tour. Je lui rappelai alors ces vers de La Fontaine :
Si quelque chat faisait du bruit,
Le chat prenait l’argent,
L’arbre étant pris pour juge,
Ce fut bien pis encore. Il servait de refuge
Contre le chaud, la pluie, et la fureur des vents ;
Pour nous seuls, il ornait les jardins et les champs.
L’ombrage n’était pas le seul bien qu’il sût faire :
Il courbait sous les fruits. Cependant pour salaire
Un rustre l’abattait, c’était là son loyer ;
Quoique, pendant tout l’an, libéral, il nous donne
Ou des fleurs au printemps, ou des fruits à l’automne…
Rien de plus conscient que cet emploi du style indirect libre, ici. Le premier plaidoyer, celui de la vache, est en style direct ; le second, celui du bœuf, est en style indirect (avec l’admirable effet de lourdeur, de réflexion, de concaténation des qui et des que répétés). Restait, pour varier, le style direct-indirect, que les grammairiens ne classent ni ne reconnaissent, mais en lequel La Fontaine, avec sa connaissance de la langue par le dessous, voit le troisième style, celui qu’il prête à son troisième personnage.
En réalité, ma réponse était un peu artificieuse. La mémoire m’avait fourni tout de suite ces vers de La Fontaine, auxquels j’eusse pu en ajouter d’autres :