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Enfin, les dieux se métamorphosèrent presque partout, et dès que nous fûmes instruits des secrets de la magie, nous nous métamorphosâmes nous-mêmes. Plusieurs personnes dignes de foi se changèrent en loups : le mot de loup-garou atteste encore parmi nous cette belle métamorphose.

Ce qui aide beaucoup à croire toutes ces transmutations et tous les prodiges de cette espèce, c’est qu’on ne peut prouver en forme leur impossibilité. On n’a nul argument à pouvoir alléguer à quiconque vous dira : « Un dieu vint hier chez moi sous la figure d’un beau jeune homme, et ma fille accouchera dans neuf mois d’un bel enfant que le dieu a daigné lui faire : mon frère, qui a osé en douter, a été changé en loup ; il court et hurle actuellement dans les bois. » Si la fille accouche en effet, si l’homme devenu loup vous affirme qu’il a subi en effet cette métamorphose, vous ne pouvez démontrer que la chose n’est pas vraie. Vous n’auriez d’autre ressource que d’assigner devant les juges le jeune homme qui a contrefait le dieu, et fait l’enfant à la demoiselle ; qu’à faire observer l’oncle loup-garou, et à prendre des témoins de son imposture. Mais la famille ne s’exposera pas à cet examen ; elle vous soutiendra, avec les prêtres du canton, que vous êtes un profane et un ignorant ; ils vous feront voir que puisqu’une chenille est changée en papillon, un homme peut tout aussi aisément être changé en bête : et si vous disputez, vous serez déféré à l’Inquisition du pays comme un impie qui ne croit ni aux loups-garous, ni aux dieux qui engrossent les filles.

xxx. — de l’idolâtrie[1].

Après avoir lu tout ce que l’on a écrit sur l’idolâtrie, on ne trouve rien qui en donne une notion précise. Il semble que Locke soit le premier qui ait appris aux hommes à définir les mots qu’ils prononçaient, et à ne point parler au hasard. Le terme qui répond à idolâtrie ne se trouve dans aucune langue ancienne ; c’est une expression des Grecs des derniers âges, dont on ne s’était jamais servi avant le second siècle de notre ère. C’est un terme de reproche, un mot injurieux : jamais aucun peuple n’a pris la qualité d’idolâtre : jamais aucun gouvernement n’ordonna qu’on adorât une image, comme le dieu suprême de la nature. Les anciens Chaldéens, les anciens Arabes, les anciens

  1. Comparez l’article Idolâtrie du Dictionnaire philosophique.
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