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l’année, je vous aurais demandé la permission de vous y suivre toujours, et j’aurais voulu cultiver l’esprit de M. le duc de Fronsac[1]. C’était là un de mes châteaux en Espagne ; mais je me suis trouvé à Paris un objet de jalousie pour tous ceux qui se mêlent d’écrire, et un objet de persécution pour les dévots.

Lorsque j’étais à Lunéville, le roi Stanislas s’avisa de composer un assez médiocre ouvrage, intitulé le Philosophe chrétien. Il en fit corriger les fautes de français par son secrétaire Solignac[2], et envoya le manuscrit à la reine sa fille, la priant de lui en dire son avis. Je soupçonne fort celui que la reine consulta ; mais, n’ayant pas de certitude, je me contenterai de vous dire que la reine manda au roi son père que le manuscrit était l’ouvrage d’un athée ; qu’on voyait bien que j’en étais l’auteur ; et que Mme du Châtelet et moi nous le pervertissions. La reine s’imagina que nous étions les confidents du goût du roi Stanislas pour Mme de Boufflers ; que nous l’entraînions dans l’irréligion pour lui ôter ses remords. Jugez de là quelles impressions elle a données de moi à monsieur le dauphin et à ses filles. Le théatin Boyer a donné encore de moi à monsieur le dauphin et à madame la dauphine des idées plus funestes.

Je n’avais donc de ressource que dans Mme de Pompadour ; mais tous les gens de lettres faisaient ce qu’ils pouvaient pour l’éloigner de moi, et le roi ne me témoignait jamais la moindre bonté. Je songeai alors à me faire une espèce de rempart des académies contre les persécutions qu’un homme qui a écrit avec liberté doit toujours craindre en France. Je m’adressai à M. d’Argenson, lorsqu’il eut ce département. Je demandais qu’il fît pour son ancien camarade de collège ce que M. de Maurepas m’avait promis, avant qu’il lui plût de me persécuter : c’était de me faire entrer dans l’Académie des sciences et dans celle des belles-lettres[3], comme associé libre ou surnuméraire, La grâce était petite ; je devais l’attendre de lui, et je ne l’obtins point. Je restai en butte à des ennemis toujours acharnés. La place d’historiographe n’était qu’un vain titre ; je voulus la rendre réelle, en

  1. Louis-Antoine-Sophie de Vignerod Duplessis-Richelieu, duc de Fronsac, fils unique du duc, depuis maréchal de Richelieu, né le 4 février 1736, marié le 25 février 1764 à Adélaide-Gabrielle de Hautefort, mort en 1791. Il était père du duc de Richelieu qui a été ministre de Louis XVIII C’est le duc de Fronsac qui est le héros d’un épisode d’une satire de Gilbert ; voyez aussi page 169.
  2. P.-Jos. de la Pimpie, chevalier de Solignac, né à Montpellier en 1687, mort à Nancy en février 1773.
  3. Maurepas et Boyer étaient membres de ces deux académies, où Voltaire ne fut jamais admis.
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