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mer cet abus intolérable, poussé à l’excès ; j’attends cette grâce de votre humanité et de votre justice.

J’ai l’honneur d’être, avec les sentiments les plus respectueux, votre très-humble et très-obéissant serviteur.


Voltaire.


4172. — À M. SÉNAC DE MEILHAN.
Aux Délices, 4 juillet.

Faites de la prose ou des vers, monsieur ; donnez-vous à la philosophie ou aux affaires, vous réussirez à tout ce que vous entreprendrez. Je suis bien surpris de la conversation du maréchal de Noailles et de milord Stair[1]. Ils ne se parlèrent certainement à Ettingen qu’à coups de canon. M. le maréchal de Noailles s’en alla d’un côté, et l’Anglais de l’autre. Milord Stair vint à la Haye, où je le vis. Ces deux généraux s’écrivirent : j’ai leurs lettres ; mais la prétendue conversation est des Mille et une Nuits.

Soyez très-sûr que jamais le lord Stair ne parla à Louis XIV qu’en présence de M. de Torcy ; et le président Hénault sait bien que M. de Torcy na jamais entendu cette rodomontade qu’on attribue à Louis XIV, et qui eût été assurément bien mal placée.

Tout ce que vous m’envoyez sur M. le maréchal de Saxe me paraît très-conforme à son caractère. Il est étrange qu’il ait fait la guerre avec une intelligence si supérieure, étant très-chimérique sur tout le reste. Je l’ai vu partir, pour aller conquérir la Courlande, avec deux cents fusils et deux laquais ; revenir en poste pour coucher avec Mlle Lecouvreur, et construire sur la Seine une galère qui devait remonter de Rouen à Paris en douze heures. Sa machine lui coûta dix mille écus, et les ouvriers se moquaient de lui. Mlle Lecouvreur disait : Qu’allait-il faire dans cette galère[2] ? C’est pourtant lui qui a sauvé la France, parce qu’il en savait plus que les hommes bornés à qui il avait affaire.

Vous me parlez, monsieur, d’un voyage philosophique vers mon petit pays roman. Vos lettres inspirent le désir de voir celui qui les écrit ; ma retraite serait très-honorée, et je serais charmé. Je félicite monsieur votre père[3] d’avoir un fils aussi aimable.

  1. Jean Dalrymple, comte de Stair, mort en 1747. Il commandait l’armée anglaise à la journée d’Ettingen, le 27 juin 1743. À cette époque Voltaire se trouvait effectivement à la Haye. (Cl.)
  2. Molière, Fourberies de Scapin, acte II, scène ii.
  3. Jean Sénac, né près de Lombez vers 1693, premier médecin du roi depuis 1752, mort le 20 décembre 1770.
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